La gravure

Parmi les techniques graphiques qui existent, ma préférence est toujours allée vers la gravure à l’eau-forte. C’était déjà le cas avant que j’aille à l’Académie. Pour moi, c’est la technique qui laisse le plus de liberté. En effet, tout ce qui est dessiné à la pointe sur la couche de vernis sombre de la planche, n’est pas définitif. Le métal léger de la planche apparaît au passage de la pointe à travers la couche de vernis sombre, ce qui rend le trait bien visible. Et si le dessin réalisé ne donne pas entière satisfaction, ou si les quelques lignes tracées ne sont pas tout à fait justes, alors en prenant un pinceau et en le trempant dans la cire liquide, on peut corriger les lignes indésirables en les recouvrant.

Une fois le diluant évaporé, il est possible de redessiner par dessus. C’est seulement quand la planche (de cuivre ou de zinc) est gravée que les lignes deviennent des rainures définitives sur la plaque. Alors que pour le procédé de la gravure, l’erreur n’est pas permise, parce qu’on grave une rayure avec un burin directement sur la planche. Le graveur devra donc faire preuve de plus de discipline que l’aquafortiste pendant son travail. L’utilisation du burin est une technique difficile, bien plus impitoyable que la pointe utilisée pour la gravure à l’eau-forte et qui est presque aussi maniable que le crayon. C’est encore différent de la plume que l’on doit maintenir de telle sorte que l’encre puisse couler tout en ne perdant pas de vue que chaque trait doit être correctement dirigé sur le papier.

L’impression, par contre, est similaire aux deux techniques. Comme elle, la gravure à l’eau-forte ainsi que la gravure classique sont des procédés de la taille-douce où les rainures sur la plaque de métal doivent être remplies d’encre.

Quand il est temps pour moi de commencer une nouvelle gravure à l’eau-forte, je sors régulièrement étudier la nature avec mon carnet à croquis ou, parfois, je fais quelques dessins de sujets qui m’intéressent et que je travaille par la suite chez moi sur la planche. Naturellement, les lignes de perspectives doivent être fixées entièrement. Cela vaut également pour les eaux-fortes qui ont émergé de mon imagination, comme la gravure « Terminus » qui se situe dans une ville imaginaire.

Une autre opération « mécanique » de la planche, est appelée technique de la pointe sèche . Pour cette technique, les lignes sont gravées fermement à l’aide d’un objet pointu, sur la planche; il s’agit de lignes continues, parallèles, car cela donne, au moment du tirage, un meilleur résultat pour les zones sombres de la représentation. On appelle le tirage d’une image imprimée de cette manière une gravure à la pointe sèche.

La technique de la pointe sèche connait aussi les caractéristiques de la taille-douce, comme l’eau-forte et la gravure, car la rayure sera également remplie d’encre pendant le tirage. Mais l’action de rayer provoque l’apparition d’un copeau qui aura tendance à retenir un peu d’encre. Si l’on regarde avec une loupe, alors on voit qu’une entaille a une ou deux lignes supplémentaires au tirage, obtenues par les rebords des copeaux relevés. Grâce à cela, la gravure à la pointe sèche présente un aspect velouté.

Certains graphistes ont combiné ces différentes techniques. Rembrandt incluait souvent la technique de la pointe sèche à ses plus grandes eaux-fortes, pour y apporter des ombres profondes. C’est tout à fait perceptible dans son eau-forte « Les Trois Croix ».

Le graphiste Pieter Dupont combinait l’eau-forte et la gravure sur la même planche. Pourtant, quelques unes de ses planches sont entièrement gravées. C’est pour cette raison qu’on peut, à juste titre, appeler une telle image imprimée une gravure. Ce n’est pas surprenant, puisqu’il a suivi une formation de gravure de bijoux et d’argenterie. Grâce à elle, il pouvait, mieux que quiconque, disposer des lignes gracieuses et ondulantes avec le burin sur la planche. Par ailleurs, la période pendant laquelle il exerçait, lui était favorable car les courbes et les beaux contours étaient tout à fait à leur place à l’époque de l’Art Nouveau. D’ailleurs, la technique de l’eau-forte n’était pas la plus appropriée pour exprimer les caractéristiques propres à l’Art Nouveau. La gravure sur bois et surtout la lithographie s’y prêtent mieux. La lithographie était très à la mode, car cette technique était excellente pour réaliser des affiches.

Je ne nierai pas que j’ai été influencé par les vieux maîtres dans ma jeunesse. Quand je partais en vacances avec mes parents, j’emportais avec moi mon livre empli d’images et de dessins magnifiques. Ce livre portait sur les maîtres Hollandais à partir du 17ème siècle jusqu’au début du siècle dernier.

Dans ce livre, un des dessins que je contemplais sans relâche, était celui de Jan Toorop « O Grave where is Thy Victory ». Il m’impressionnait profondément. C’est à l’époque où il a fait ce dessin, vers 1891, que Jan Toorop a produit le plus de travaux symbolistes.

O Grave where is Thy Victory (tekening) – Jan Toorop, 1892

Moi-même, je n’ai jamais eu tendance à travailler dans le genre symboliste. Je n’ai encore moins, du moins il me semble, travaillé dans le style d’un autre artiste.

Il est connu qu’un des plus grands artistes graphiques néerlandais, Dirck van Gelder, s’est laissé fortement influencer par l’artiste graphique français Bresdin. Certains prétendent même qu’il était «devenu Bresdin».

Pour ma part, j’estime qu’il a dépassé son maître.

Il est aussi à remarquer qu’il a continué à fournir un excellent travail jusqu’à un âge avancé. En ce qui me concerne, je trouve cela encourageant. Je souhaite comme lui pouvoir continuer à exercer longtemps. Néanmoins, il faut reconnaître que les œuvres exécutées dans les dix dernières années de sa vie étaient devenues plus archaïques.

Durant les vingt années où il professa à l’Académie des Beaux-arts de La Haye, on peut dire que l’établissement a abrité un enseignant spécialisé brillant. Il m’arrive de rentrer dans une Académie pendant les journées portes ouvertes. Je dois constater alors que la section graphique est souvent mal en point. Les noms des enseignants spécialisés engagés ne m’évoquent rien. Même sur internet on ne trouve pas trace d’eux ou pratiquement pas car ils n’exposent pas. Pour une raison ou pour une autre, ils ne parviennent plus à créer, à réaliser une œuvre pour eux-mêmes.

Dans plusieurs académies, en Hollande, les techniques graphiques ne sont même plus enseignées. La section illustration connaît souvent le même sort : elle tend à disparaître. Bien que je décrive ici une situation telle qu’elle existe aujourd’hui aux Pays-Bas, il ne serait pas étonnant qu’il en soit ainsi dans d’autres pays occidentaux.

Chez moi, la production n’est pas intensive. Je travaille simultanément plusieurs planches d’eau-forte pendant un certain nombre d’années. Quand je commence une nouvelle eau-forte au printemps par exemple, je ne peux y travailler de façon ininterrompue que pendant une courte période parce qu’une grande partie de mes eaux-fortes se portent sur le paysage et par conséquent sont liées aux saisons. Après plusieurs semaines de travail, je devrai mettre cette planche de côté. Il en est ainsi pour toutes les eaux-fortes qui sont liées aux saisons. De cette manière, j’ai continuellement trois ou quatre eaux-fortes en cours de réalisation.

Je voudrais évoquer un cas particulier à savoir une eau-forte que j’ai faite en 1975 et dont le résultat n’était pas tout à fait satisfaisant. Manifestement, le public partageait cette opinion car l’eau-forte n’a pas été vendue lors des expositions. À un moment donné j’ai détruit le stock d’eaux-fortes déjà imprimées et j’ai rangé la planche.

Trente quatre ans plus tard, je m’en suis souvenu et j’ai ressorti la planche. À mon grand dam, cette planche d’eau-forte avait subi des dommages par oxydation (voir l’image). J’ai poli toute la planche à fond dans l’intention de retravailler sur l’ancienne eau forte, parce que je savais maintenant pourquoi j’étais insatisfait. Il y manquait de « l’ambiance ». Plusieurs mois plus tard, j’ai retravaillé l’eau-forte complètement.

À la première exposition de l’association des artistes De Ploegh, où j’apparaissais avec cette eau-forte, le public me montra clairement qu’il partageait ma nouvelle vision pour cette eau-forte car elle ne fit plus partie des invendus. Si l’on regarde bien, on peut voir que toutes les détériorations n’ont pas disparu. Si l’on regarde attentivement, on s’aperçoit que tous les endroits détériorés n’ont pas complètement disparu.

La gravure à l’eau-forte a connu une époque florissante au cours du 17ème siècle. De nombreux artistes, parallèlement à la peinture ou à la sculpture, produisaient aussi de la gravure. Là encore, Rembrandt occupe une place importante.

On compte un autre artiste de la même période qui, du point de vue de l’histoire de l’art, était remarquable : Hercules Seegers. Il était à la recherche d’une technique avec laquelle il pouvait accomplir davantage de nuances de tons. Singulièrement, il n’y a pas beaucoup d’eaux-fortes connues de lui. Vraisemblablement, il en existait bien plus. Après son décès, ses expériences n’ont pas été perpétuées de façon sérieuse pendant longtemps.

C’est seulement au 19ème siècle que les techniques de gravure à l’eau forte se sont développées, de telle façon que des tonalités entières pouvaient désormais être mises sur la planche.

Célèbres sont les séries d’eau-forte de l’artiste espagnol Francisco Goya qui, à une grande vitesse mais de manière précise, dessinait ses sujets sur la planche avant de les graver à l’eau-forte et, plus tard, y ajouter la technique de l’aquatinte. C’est cette dernière qui, à l’impression, donnera des tons de gris différents. Goya obtenait ce résultat en gravant les tonalités en question plus ou moins longtemps. La hachure, artisanale et aussi parfois ennuyeuse, pouvait être ainsi évitée. Goya n’utilisait pas cette technique uniquement pour sa vitesse d’exécution mais aussi parce que, pour lui, c’était la technique la plus qualifiée pour accentuer l’aspect dramatique de ses représentations gravées préalablement.

Sir J.C. Robinson (1824-1913) est un graphiste de la deuxième partie du 19ème siècle, dont je pris connaissance pour la première fois en parcourant The Studio, année 1906, et qui laissa d’ailleurs une œuvre minime. De cet artiste, je ne connais que quelques gravures.

Les deux qui m’interpellent le plus sont « Newton Manor: Swanage » et « Corfe Castle : Sunshine after rain ».

Ce qui est particulier chez lui, c’est la manière dont il parvient à rendre compte des conditions atmosphériques. Bien que le soleil brille, on sent encore la présence des averses.

On peut voir que les lignes gravées dans le ciel sont plus légères que celles du sol. Généralement, quand on imprime à l’encre, on ne différencie guère les lignes les plus grossières des plus fines. Ici, il est probable que les lignes moins intensément noires aient été gravées moins profondément.

Hélas, je ne peux plus demander d’explication à Sir Robinson ! À mentionner que de ces deux gravures, on peut aussi trouver des reproductions à la Tate Galerie.

Le graphiste Sir Francis Seymour Haden(1818 – 1910) fut un bon ami de Sir John Charles Robinson. On peut clairement voir qu’il a étudié les gravures de Rembrandt de près. Lui aussi combinait la technique de l’aquatinte avec celle de l’eau-forte, tout comme Rembrandt. Mais il n’était pas question d’imitation pure et simple. Il s’est choisi un bon maître. Le profane qui voit quelques unes de ses images pourrait confondre sa gravure avec celle de Rembrandt. Mais il est évident que les scènes que Seymour Haden gravait se situent surtout en Angleterre.

Dans le domaine social et artistique il y avait beaucoup à faire en Angleterre, en ce temps là. Le Préraphaélisme était en plein essor. Les Arts and Crafts furent fondés et plus tard le Stile Liberty (la variante anglaise de l’Art Nouveau) se profila aussi. C’était également le temps où on construisait frénétiquement des voies ferrées.

Sans doute que Sir John Charles Robinson et Sir Francis Seymour Haden en ont bénéficié avec reconnaissance vers 1870.

La manière dont je me suis mis à travailler n’a pas été choisie consciemment. On peut s’apercevoir que chez moi, les dessins que j’ai faits enfant, se sont développés au fil des années et se retrouvent dans ce que je me suis mis à produire à la sortie de l’Académie Artibus (aujourd’hui Hogeschool voor Beeldende Kunsten Utrecht).

La manière dont j’exécutais la technique de la gravure à l’eau-forte, faisait appel à une tradition vieille de plusieurs siècles. Bien que j’aie un certain penchant pour le passé, je me sens plus impliqué par des sujets contemporains et qui résultent de souvenirs enfouis dans ma mémoire. Quand je débutais la gravure avec le statut d’indépendant, il régnait aux Pays-Bas, et surtout à Utrecht, un climat favorable à la gravure à l’eau-forte. Un certain nombre de graphistes ont adhéré à la Société Graphique de Luis (Grafisch Gezelschap de Luis). Les trois graphistes les plus importants étaient William Kuik, Charles Donker et Gerard van Rooy (1938 – 2006). Personne n’a égalé ce dernier, dans ce pays, depuis sa mort, du point de vue des compétences techniques.

C’est seulement en 1973 que j’eus assez de gravures pour pouvoir exposer. Je connus tout de suite le succès. La gravure connut aux Pays-Bas, dans les années 70, un véritable essor : tous ceux qui touchaient un peu à l’art pratiquaient aussi la gravure.

Cela ne dura que dix ans, les choses se gâtèrent soudainement. La plupart des artistes retournèrent à leurs occupations précédentes.

Quelques jusqu’au-boutistes, comme moi, ont tout simplement fait le choix de continuer. Heureusement qu’il existe aux Pays-Bas quelques galeries qui se sont spécialisées dans la gravure.

Le 30 novembre 2002, le Musée la Maison de Rembrandt (’t Rembrandthuis) à Amsterdam proposait d’exposer l’œuvre du graphiste d’Utrecht Charles Donker. Ce dernier savait matérialiser ses observations de la nature avec la pointe sur la planche, d’une façon exemplaire.

Des graphistes étrangers également, dont je n’avais encore rien vu auparavant, ont été exposés à la Maison de Rembrandt (’t Rembrandthuis), comme Gerard de Palezieux (Suisse 1919), Jakob Demus (Autriche 1959) et le français  Erik Desmaziere 1948, qui parvient à rendre compte de sa vision de l’espace et de la perspective à travers sa manière de graver.

J’espère que la Maison de Rembrandt (’t Rembrandthuis) pourra exposer plus souvent des graveurs qui travaillent selon la “tradition de Rembrandt”.

Aujourd’hui encore la Maison de Rembrandt (’t Rembrandthuis) fait partie des rares musées en Europe du Nord où les graphistes contemporains sont exposés.

Philip Wiesman

Enige sites die ook nog interessant zijn om op te kijken zijn:

www.sfonlinearts.com

www.williampcarlfineprints.com

www.fitch-febvrel.com

www.stoneandpress.com

www.emrath.de/mmbei_h.htm (exemples et explications des techniques d’impression)